Témoignage de Pascale Léger, membre du Collège International des Thérapeutes :
Vivre les 10 orientations dans le désert,
Pâques 2011 : Marcher dans le désert, être un passant dans une immensité de sable, de lumière et de silence, traverser la fatigue, se sentir portée par l’énergie du désert et l’énergie du groupe, vivre pleinement chaque instant de beauté, c’est cela, et bien d’autres expériences, une marche dans le désert. Ce peut être aussi, et j’ai essayé de le vivre ainsi, un terrain d’expérimentation des 10 orientations. Je vous invite donc à cheminer avec moi à travers ces dix mots qui sont le soubassement lumineux de notre quotidien.
ANTHROPOLOGIE : Je me sens une toute petite parcelle fragile de l’univers, dépendant totalement de la bonne volonté des Éléments et de la Grâce divine. Tout est un cadeau du ciel, la brise qui se met à souffler et nous permet d’avancer par au moins 40 ° au soleil, l’eau que ma gorge desséchée goûte avec délice, la lumière qui joue sur les lointains, transformant les concrétions calcaires en collines scintillantes, la persévérance que je puise au fond de moi même mais qui m’est donnée, je le sens, car je n’ai aucun entraînement à la marche et me sens portée, comme par une force invisible. Je me sens humble, infime petit point perdu dans l’infini, presque écrasée devant tant d’immensité et de beauté. Chaque pas change la perspective et apporte une nouvelle parcelle de beauté. J’ai l’impression d’avoir le privilège de fouler une terre vierge, toute neuve, qui vient juste d’être créée. J’accueille les mirages et les miracles du désert comme des merveilles, le petit oiseau aux ailes chatoyantes qui nous accompagne et volette familièrement autour de nous, la pluie qui tombe pendant le rituel du pardon du mercredi soir et lèche les flammes du feu autour duquel nous sommes assis. Rencontre improbable du feu et de l’eau purificateurs. L’eau du ciel a minuté son apparition, les gouttes commencent à tomber au début du rituel et s’arrêtent juste à la fin de la cérémonie ! Je passe, je passe le long des dunes et sens que ce passage n’est pas seulement extérieur mais intérieur. Je ne sais pas où je vais, mais je suis sensible aux différents passages qui se font en moi et me conduisent, où, je l’ignore, mais j’ai confiance.
ÉTHIQUE : Le mot clef de l’éthique du désert serait-il le respect ? Dans « respect », il y a « spectare », regarder en latin, mais regarder d’un peu loin, comme si on n’osait pas toucher aux choses parce qu’elles sont sacrées. C’est ce que je ressens : le désert est le lieu du sacré par excellence et nous invite à décliner différentes facettes du respect. Respect, c’est une évidence, du lieu lui même, ne pas le souiller, être vigilant quand on quitte un lieu pour que la virginité demeure. L’hypothétique passant suivant pourra goûter à son tour l’immaculé du sable. Respect de soi même, de son corps, ce véhicule qu’on aurait parfois tendance à trop pousser, écouter son corps, être attentif à ses appels : » Prends conscience de tes limites, ne force pas. » Marcher doucement dans le désert, c’est d’abord être doux avec soi, des pieds jusqu’au sommet de la tête. Respect des autres. Je le reconnais, j’ai parfois envie de me prendre la meilleure place (meilleure selon mes petits critères égoïstes ) en arrivant sous la tente pour le déjeuner ou le soir, au campement. « Je suis fatiguée, j’ai bien le droit à un peu de confort » me dit une petite voix maligne. J’essaie de ne pas tomber dans ce piège et d’être attentive aux autres, à ceux qui sont plus éprouvés que moi ou, tout simplement, à ceux qui auraient envie, eux aussi, d’une « bonne place ».
ÉTUDE : Nous traversons le désert avec les différents personnages bibliques dont nous parle Jean Yves. Chaque jour, Adam, Moïse ou Abraham nous accompagnent dans notre marche, comme des grands Anciens, présences tutélaires qui nous révèlent à nous mêmes et nous guident sur le chemin. Je ne vais pas rentrer dans le fond de l’enseignement de Jean Yves, simplement préciser comment je l’ai reçu : Nous sommes en cercle autour de Jean Yves, souvent en plein soleil, dans l’aveuglement de la lumière matinale, perdus au creux des dunes ou dans une immensité plate dont on ne voit pas la fin. Sentiment de vivre ce moment dans un autre temps, un temps immémorial, comme si nous étions des pèlerins du début des temps. L’enseignement résonne différemment dans cet espace temps autre. Il nous invite à le mettre en pratique dès que nous quittons l’assise pour la marche. Je le mâche et le remâche pendant la marche, mais curieusement, je n’ai pas l’impression de le faire avec mon mental mais avec tout mon être, comme si un travail souterrain se faisait à mon insu.
SILENCE : Le silence est le langage du désert. Silence : « si », comme un oui, une adhésion totale à tout ce qui se présente, « len », comme la lenteur de la marche qui s’accorde au temps si différent du désert, « ce », comme le murmure du vent, la nuit. Oui, le désert nous " lance " vers une plus profonde approche de nous-mêmes et de la grandeur de la Création. Désert et silence sont frères. Chut, écoutez le silence du désert, ne le troublez pas par d’inutiles paroles. Le silence a ici une saveur unique, si pure. Rien ne vient l’abîmer. L’espace est si vaste qu’on peut facilement s’éloigner du groupe et goûter la marche solitaire. La marche est plus aisée quand on se tait car on fait chaque pas en conscience. Le silence me donne de la force quand la fatigue me guette et me permet, du moins j’en ai l’illusion, d’accorder ma conscience à celle du désert, dans un sentiment d’unité. Accordage du cœur et du cosmos. Je respecte le rythme de cet espace magique qui me permet d’associer silence, solitude et lenteur. Le silence de la nuit, lui, est un hommage à l’éblouissante coupole étoilée qui nous enveloppe, comme un dôme protecteur et souriant. La musique des sphères est silence aussi.
GRATUITE : Dans le désert, on peut célébrer l’utilité de l’inutile : pourquoi venir marcher des heures par une chaleur torride, alors que rien ne nous y oblige ? Pour rien, pour ne rien attendre… mais quels cadeaux en retour ! Tout est don dans le désert. Outre la majesté de ses espaces infinis, le désert offre la délicatesse de petits trésors, un coquillage nacré du fond des temps, une minuscule plante qui essaie de surgir du sable, la palette des couleurs du sable, du blanc au jaune en passant par des nuances plus argentées. Que lui offrir en retour, comment manifester à la Vie ma gratitude d’être là, loin des remous du monde ? Offrir ma joie, mon émerveillement, retrouver mon regard d’enfant pour découvrir, m’enthousiasmer, me laisser dévaler les dunes en courant, les bras ouverts comme un oiseau à l’envol, ou en glissant sur les fesses avec un appétit de découverte intact. Le désert donne envie de chanter, de danser, pour offrir cette joie qui déborde. Le désert, ce n’est pas la première fois que je l’éprouve, me rend euphorique mais aussi consciente de mon privilège. J’offre tout, ma marche, ma fatigue, les émotions qui surgissent. Je dédie ma marche à ceux qui souffrent, loin du désert et de ses enchantements. Je dédie ma marche à cette enfant que j’aime mais que je ne sais comment rejoindre par la parole. Peut être cette beauté nous rapprochera- t- elle ?
RESSOURCEMENT : Le désert est une source à laquelle je m’abreuve pour trouver le chemin du trésor caché enfoui dans mon cœur, pour laisser tomber tous les voiles de l’habitude, de la vie quotidienne, qui me masquent l’Essentiel, pour ouvrir mon être à l’Infini. Je me sens renouvelée, en passage vers une autre étape du chemin.
RECONNAISSANCE : Je me sens très loin de ceux qui ne sont pas venus dans le désert et, en même temps, très près. Un lien subtil nous unit. Je ne suis pas en présence physique de mon thérapeute accompagnant mais ce que je vis dans le désert me rapproche dans l’invisible d’elle. Je sais que nous aurons à échanger sur tout cela. Je marche aussi pour elle et lui sais gré de m’avoir accompagnée dans mon chemin quotidien, prélude au désert.
ANAMNÈSE : Faire mémoire de tout ce qui peut s’élever et nous élever. Le rythme de la marche appelle l’invocation, la prière du cœur, la célébration de l’Infini. Beaucoup de rêves, de songes sous les nuits étoilées. Je les note car ils sont des balises sur le chemin.
RAPPEL : Marcher en présence de l’Infini. Chaque pas est une prière qui s’élève pour rendre grâce.
FRATERNITÉ : Au cœur du silence, la fraternité se passe souvent de mots. C’est un sourire encourageant à celui qui semble peiner, une marche à deux pour avancer plus facilement, mon pas qui se ralentit pour attendre l’un ou l’autre. La fraternité va de pair avec le désert. Je me sens sœur de tous les autres pèlerins à qui un lien particulier m’unit. D’ailleurs une amitié nouée dans le désert a plus de force qu’une autre. Il est plus naturel qu’ailleurs de se rendre service, de s’épauler. Fraternité avec les Bédouins qui nous accompagnent et veillent sur notre bien- être. Thé âcre et sucré à la fois partagé le soir, autour du feu, dans une atmosphère de partage et de joie, au delà de toutes nos différences. Fraternité avec les dromadaires dont le pas régulier nous donne la cadence. Le jeune dromadaire trottinant autour de sa mère pour téter est une image de joie qui traverse encore ma mémoire. Fraternité avec ce morceau d’univers que nous traversons et qui nous accueille dans sa bienveillance (pas de tempête de sable, ni de moment trop rude).
Quelques mots pour rester encore un peu dans ce beau désert de Siwa dont l’évocation me nourrit chaque jour : Créativité : impression de sentir se déployer en moi des potentialités inconnues. Ouverture : Je sors de la « Léthé », et tous mes sens sont en éveil, tout mon être aspire les nectars du désert. Relativité : ma perspective sur le monde change ; peut-être plus de tolérance et de compassion. Liberté : je sors de mes conditionnements habituels et découvre l’Inconnu qui me révèle autre. Dilution : mon moi se dissout : je regarde le désert et c’est le désert qui me regarde. Nudité : tombée des masques. Pas besoin de jouer un rôle. Je suis telle que je suis et m’assume comme telle, me montre aux autres ainsi, même dans ma faiblesse et ma fatigue. Confiance : "Ce qu’on pense être impossible est peut être à la marge du possible " (Ibn Arabi) Gratitude : pour Jean Yves, Richard, Guillaume et ceux qui ont rendu possible cette traversée ; merci pour tout ce que j’ai vécu ; merci à la Vie.
Pascale Léger